Au hasard, on pourra citer l’Italie championne du monde en 1982 alors qu’elle doit être réduite à 8 contre le Brésil et être éliminée, tant les italiens font de fautes sur les attaquants brésiliens. Cette année là , les allemands sont également en finale grâce à l’arbitre de la demi-finale à Séville : nous n’oublierons jamais. Que dire du titre de l’Argentine en 1986 ? L’Argentine aurait-elle éliminé l’Angleterre sans le but de la main du petit gros court sur pattes ? En 2002, les arbitres ont souhaité permettre à la Corée du Sud d’aller en demi-finale. Sans doute trouvaient-ils les coréens sympathiques. En 2006, l’Italie aurait-elle été championne du monde sans ce pénalty obtenu par un plongeon à la dernière minute de son match contre l’Australie ? Lors de l’Euro 2008 , l’Allemagne battait le Portugal 3-2 grâce à un but non valable de la brute Ballack. (All-Portugal). En 2010, les allemands, encore eux, toujours eux, auraient-ils battu l’Angleterre si le but superbe et parfaitement valable de Lampard avait été validé? (All-Ang).
Or qu’avons-nous vu depuis le début de l’Euro 2012 ? Certes la plupart des hors jeux sifflés sont imaginaires, ce qui est classique puisque la règle du hors jeu est par essence impossible à arbitrer pour un être humain. Elle a été créée pour cela, d’ailleurs. Mais pas de pénalty inventé, pas de main volontaire dans la surface non sifflée, comme dans le France-Suisse de 2006 ou le France-Hollande de 2008 (Fr-Holl), pas de joueur expulsé à la place d’un autre ou de but magnifique refusé sans raison aucune . Nous sommes étonnés, un peu tristes, nous avions l’habitude de nous enflammer pour ces injustices, nous voilà orphelins.
On comprend mieux pourquoi la FIFA s’oppose à l’arbitrage vidéo. Contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas uniquement parce que la FIFA est composée de gens un peu endormis, adipeux, au QI indétectable, c’est surtout parce qu’elle a compris que les nombreuses injustices liées à la faiblesse du jugement humain étaient l’élément essentiel du succès planétaire de ce sport finalement assez ennuyeux.
Oui, reconnaissons-le. Ce qui rend le football si intéressant, c’est l’injustice, une injustice en direct, filmée, diffusée au ralenti partout, qui restera pour l’éternité. La main de Thierry Henry, pour un irlandais, c’est une tragédie. Sans cette tragédie, que resterait-il de ce match ? Rien, absolument rien. Lorsqu’une injustice est commise, nous refaisons éternellement le match dans nos têtes et entre nous. Nous voudrions inventer une machine à remonter le temps, et retourner en 1990, AVANT le but de la main de Vata (Benfica-OM, 1-0), qui prive l’OM de la finale de la coupe d’Europe des clubs champions, comme on disait à l’époque. Nous n’acceptions pas, et nous n’accepterons jamais (1). Une injustice, c’est l’inverse d’une chanson de Sade, ces chansons tellement agréables et douces qui nous apaisent. Une injustice ne se laisse jamais oublier, elle nous blesse et nous donne envie de changer le monde. Sauf lorsque nous en sommes les bénéficiaires, ce qui pour nous français est moins fréquent que pour les allemands. Alors nous utilisons la formule consacrée : « c’est l'football », tellement énervante pour ceux d’en face, les irlandais en l’occurrence.
Vous vous souvenez de Mr Foote, l’arbitre catastrophique de Bulgarie-France, en éliminatoires de la coupe du monde 1978 ? Celui que Thierry Roland avait traité en direct de salaud ? Il a rendu ce match, pourtant sans intérêt, éternel. On en parlera encore dans les siècles à venir. Nous manquons d’arbitres de ce type à l’Euro. Mr Foote, revenez s’il vous plait !
Certes M. Lannoy, le « meilleur arbitre français », qui a arbitré le match Allemagne-Portugal (1-0), a bien essayé de faire quelque chose. Il a régulièrement sifflé faute pour une équipe, alors que la faute était commise par l’autre. Du boulot propre, car c’est gratuit, cela énerve les joueurs et le public, et peut permettre à un match de bien dégénérer pour pas grand-chose. Mais il l’a fait pour des fautes hors de la surface, et finalement, il ne s’est rien passé, alors qu’il aurait pu, par exemple, accorder un but au Portugal pour un tir de Pépé, qui avait rebondi sur la barre, puis sur la ligne de but, et qui n’était pas entré. S’il l’avait fait, il aurait déclenché une superbe polémique, l’Allemagne aurait été scandalisée, nous aurions peut-être eu des répercussions politiques majeures. Mais il n’a pas sifflé but, ne respectant pas ainsi la très ancienne tradition d’arbitrage catastrophique.
On a même assisté à un très joli Espagne-Italie (1-1), technique, enlevé, avec de jolis buts, où il n’y a eu aucun problème d’arbitrage ! C’est un comble. Les deux grandes équipes latines, avec une tradition centenaire de trucages en tous genres, de joueurs habitués normalement à hurler de douleur, qui devraient se rouler par terre « Ã la Drogba ». (Drogba à terre). A l’étonnement général, il n’y a eu aucune controverse. Des joueurs avertis qui le méritaient, mais pas de carton rouge idiot, pas de bagarre générale, pas d’entraîneur fou de rage qui lance des bouteilles et menace l’arbitre d’un doigt furieux. Deux très jolis buts de Di Natale et Fabregas, avec des services parfaits des artistes Da Silva et Pirlo (j’avoue un faible pour la passe de Pirlo entre les défenseurs espagnols, tout simplement géniale), mais pas de controverse éternelle à se mettre sous la dent.
Gardons la foi dans le football. Les injustices vont arriver, et elles vont être énormes, soyons confiants.
Messieurs les arbitres, s’il vous plait, énervez-nous, soyez catastrophiques, aveugles, injustes. Un petit effort, le monde entier vous regarde. On compte sur vous.

(1) A l’époque, Tapie avait lui aussi décidé de ne plus accepter, et, miraculeusement, jusqu’en 1993, plus aucune injustice n’a frappé l’OM. La prière, sans doute.