En fait ce match ce n’était pas un match, c’était une tranche de vie, et pour bien la digérer il faut comprendre ce qui s’est joué sur le terrain (et même un peu dans les vestiaires).

Un mot sur les adversaires avant tout. Depuis plusieurs saisons ils occupaient notre terrain de La Muette sur la tranche horaire de 19h à 20h30. Pendant la période du couvre-feu, où il n’était possible de jouer que jusqu’à 21h, ils avaient accepté (ainsi que leurs « conjoints » Café Aveyronnais) de partager leur créneau avec nous. Nous avions ainsi pu jouer un ou deux matchs avant qu’un resserrement des mesures ne ferme complètement le stade. Pour ces moments de partage ils méritent nos remerciements.

Au coup d’envoi ils étaient juste 11, un douzième joueur est arrivé peu avant la mi-temps. Nous leur avons donc « prêté » un juge de touche et pendant une bonne partie de la première période c’est Anis qui a levé le drapeau pour notre attaque. Alors que traditionnellement chaque équipe arbitre les hors-jeux de l’adversaire, et « protège » donc ses propres buts, il a fait l’inverse et a ainsi annulé notre premier but sur un hors-jeu qui était sans doute réel mais qu’il aurait pu faire semblant de ne pas voir. Ce comportement magnanime n’est pas étonnant de sa part, ni plus généralement de la part du Panthéon FC, mais il mérite d’être mentionné en fonction de la suite des événements.

L’arbitre était petit et âgé. Cela aussi mérite d’être mentionné pour la suite. Il a commis un certain nombre d’erreurs très probablement involontaires et à mon avis assez équitablement réparties. Il avait une gestuelle très spécifique sur certains coups francs pour indiquer en faveur de qui il était sifflé. Une sorte de fente d’escrimeur, le bras tendu dans la direction de l’équipe sanctionnée, chorégraphie admirablement reproduite avant le match dans les vestiaires par Nicolas E qui se souvenait qu’il nous avait déjà arbitrés.

En l’absence de Chris, Louis avait été proclamé capitaine.

Ce sont nos adversaires qui ont ouvert le score en marquant deux buts coup sur coup en milieu de première mi-temps avant que Louis ne réduise l’écart d’une superbe tête. Nous encaissions un troisième but avant que leur gardien ne récupère à la main une passe en retrait. Sur le coup franc indirect qui s’ensuivait Marin marquait notre deuxième but. Nous étions donc menés 3 - 2 à la mi-temps.

Nous avons ensuite traversé une période très difficile en deuxième mi-temps. Pendant une bonne partie de cette période nous n’avons quasiment pas tenu le ballon et leurs attaques s’enchainaient. Nous avons alors logiquement encaissé un quatrième but et malgré le courage et l’engagement de tous, la défaite semblait inéluctable. Mais Louis, dont il suffit pour décrire l’engagement de dire qu’il était du niveau de Chris, ne l’entendait pas ainsi et après un rush solitaire il ramenait l’espoir dans notre camp. Puis ce fut Nicolas E qui égalisait d’une superbe frappe.

Il restait quelques minutes à jouer, ils continuèrent à mettre la pression et prirent malheureusement l’avantage d’un tir imparable. Mais puisque le Panthéon est désormais une équipe de combattants nous n’avons pas laissé tomber et sur une nouvelle attaque se produisit ce qui donne sa dimension à cette tranche de vie : main d’un de leurs défenseurs dans sa surface.

Le pénalty était évident pour tous et c’est ce que l’arbitre aurait dû siffler. Mais les adversaires lui mirent la pression pour qu’il décide que la faute avait été commise en dehors de la surface. Ils étaient plusieurs à l’entourer, chacun faisant deux fois son poids et le tiers de son âge, et il est clair pour tous que c’est sous cette pression qu’il décalait le lieu de la faute de plusieurs mètres. Il est aussi clair pour tous que la faute était bien dans la surface. Certains adversaires le reconnaissaient et prétendaient contre balancer cette erreur d’arbitrage par une autre commise en notre faveur dans notre moitié de terrain quelques minutes auparavant. Mettre ainsi sur le même plan une erreur involontaire aux conséquences anodines et une tricherie évidente valant à peu près but était absurde. Cette argumentation montrait simplement qu’ils avaient bien conscience de la réalité du pénalty.

Bref, après de longs palabres, qui firent craindre que la lumière ne s’éteigne avant que le jeu n’ait repris, ce fut un coup franc qui fut décidé. Il ne donna rien et le coup de sifflet final valida ce score de 5-4 en faveur de nos adversaires.

A signaler aussi une autre tricherie plus ordinaire, au cours de la deuxième mi-temps, leur juge de touche signalant un hors-jeu visiblement imaginaire qui annulait injustement un but pour nous.

La plupart des adversaires étaient plutôt sympathiques mais certains ne l’étaient pas, et l’un d’entre eux qui avait insulté Anis sur le terrain réitérait ses propos dans le couloir des vestiaires. Comme le faisait remarquer Laurent il y déjà longtemps, il peut arriver à presque tout le monde de s’énerver sur un terrain mais la différence entre l’honnête homme et le crétin se fait après le coup de sifflet final. Le premier retrouve le chemin de la civilisation et va parfois jusqu’aux excuses pendant que l’autre reste bloqué dans sa violence obtuse (ce n’étaient pas ses termes, j’emphatise peut-être un peu).

Bref, nous avons été courageux, nous avons été honnêtes, nous avons donné le meilleur de nous-mêmes. Nous n’avons rien lâché et sommes revenus au score alors que nous étions très largement dominés.

En face ils ont aussi très bien joué, mais ils ont été indignes. En toute conscience ils ont mis la pression à l’arbitre pour qu’il change sa décision en leur faveur et commette ainsi une injustice criante. Lorsque l’arbitre est venu nous remettre la feuille de match après la douche (donc une fois les esprits calmés), Pierre lui a demandé s’il avait ressenti de la pression au moment du pénalty. Il a répondu « oui, un peu ». C’est tout dire.

Le score est de 5-4 pour Inter 6. Mais qui a gagné ? Qui peut être fier de lui ? Qui peut raconter le match sincèrement à sa femme ou à ses enfants et garder leur estime ? Qui peut garder sa propre estime ?

Ce match ce n’était pas un match, c’était une tranche de vie. Nous l’avons vécue ensemble, nous en sortons grandis et fiers. Ne nous voilons pas la face : nous aurions adoré égaliser et nous aurions célébré ce match nul comme une victoire. Ils nous ont volé cette joie et nous n’avions pas le cœur à chanter dans les vestiaires.

Heureusement, ce n’était pas la finale de la Coupe du Monde. Ni même la demi-finale.

Car comment ne pas faire le parallèle avec la demi-finale de Coupe du Monde à Séville en 1982. Pour les plus jeunes qui ne l’ont pas vécue (et qui n’ont pas lu les livres d’Histoire), en deux mots l’équipe de France était l’une des plus brillantes qu’il m’ait été donné de voir jouer. Alfredo Di Stefano parlait des joueurs qui la composaient comme de « cerveaux qui courent ». En demi-finale nous avons été scandaleusement éliminés par l’Allemagne, avec en particulier une agression particulièrement violente du gardien Harald Schumacher sur Patrick Battiston que l’arbitre Monsieur Corver ne sifflait même pas. Cette scène mémorable n’était que le point d’orgue d’une série de violences allemandes non sanctionnées, qui avaient fait dire à Jean-Michel Larqué, quelques minutes auparavant, que l’arbitre devait intervenir sinon quelque chose de grave allait arriver.

Bref, élimination ahurissante, profonde injustice.

Michel Platini parle de ce match comme d’un moment de légende, un match dont tout le monde se souvient, dont le retentissement marque les esprits pour toujours (disons pour au moins 40 ans). Certes il aurait préféré le gagner, mais il en est ressorti grandi et il se dit fier d’en avoir été un acteur (et quel acteur).

Comme lui gardons la tête haute, souvenons-nous que nous avons été forts, droits et courageux. Et essayons d’évacuer les ressentiments. Ce n’est pas facile car pour certains d’entre nous après le match la frustration confinait à la colère. Sachons nous maîtriser, ces tricheurs ne méritent pas que nous perdions notre âme.

Je dois toutefois reconnaître que je leur en veux. J’aimerais que les terrains de football loisir soient des lieux où ne se rencontrent que le sport et la saine émulation entre les équipes, où la compétition le cède à la dignité et au respect des règles. Malheureusement, au pied de l’ambassade de Russie, nos adversaires ont joué les gros bras devant un petit homme pour obtenir un score en leur faveur. Je leur en veux de n’avoir même pas préservé pendant 90 minutes une certaine image de l’homme et du sport

Mais ils n’empêcheront pas que cette tranche de vie reste comme une des plus belles pages de l’Histoire du Panthéon FC.