Nous avions la chance de jouer notre match en connaissant déjà le tableau final. Nous savions quelles équipes rencontreraient le 1er et le 2ème de la poule. Pour le 1er, c’était l’Italie puis sans doute l’Allemagne (si, comme il est probable, elle fait sortir la Grèce de l’Euro). Pour le 2ème, l’Espagne, puis le vainqueur de Portugal-République Tchèque. L’Espagne a longtemps fait figure d’épouvantail, mais sa courte victoire contre la Croatie a changé les choses, et elle est sans doute moins à craindre aujourd’hui que l’Italie. Et que dire de l’Allemagne comparée au vainqueur de Portugal – République Tchèque ? Nous avons nos chances contre l’une de ces deux dernières équipes, je suis beaucoup moins optimiste face à l’Allemagne.

Par conséquent il était évident dès le coup d’envoi qu’il était préférable de finir 2ème plutôt que 1er.

Or une défaite par 1 à 0 nous faisait terminer 2ème avec certitude, indépendamment du score de l’autre match de la poule, Angleterre-Ukraine. Soulignons qu’il est rarissime de pouvoir ainsi être certain de finir 2ème, nous étions donc dans une configuration assez particulière. Il aurait été absurde de ne pas en profiter, et à l’évidence c’est ce que Laurent Blanc avait décidé. Cela explique le comportement de la plupart de nos joueurs, cette stérilité offensive qui avait parfois du mal à être même crédible, et ces erreurs défensives qui elles par contre étaient plus en ligne avec les performances passées. Nos joueurs ont été très nettement en dessous de leur niveau, à l’exception de Lloris, qui n’a jamais aimé se prendre trop de buts, et de Ribéry, qui n’avait peut-être pas très bien compris les consignes.

L’application très soignée de cette stratégie nous a permis d’être longtemps menés 1 à 0, score idéal pour nous. Puis vers la fin, une fois qu’il était clair que l’Angleterre ne perdrait pas contre l’Ukraine, et que la qualification était donc acquise, nous pouvions impunément franchir un pas supplémentaire vers la médiocrité, d’où ce score de 2 à 0.

Pour la première fois dans une compétition internationale, nous avons donc vu à l’œuvre une vraie stratégie, consistant non pas à gagner bêtement le match pour la seule raison que c’est un match, mais à obtenir le résultat qui maximise nos chances d’aller plus loin dans la compétition.

Cette stratégie est une évidence. Et pourtant tous les spécialistes refusent de la considérer. Ils refusaient avant le match d’admettre qu’elle puisse être mise en œuvre, ils vont maintenant refuser d’admettre qu’elle l’a été.

Ils nient cette réalité pour la seule raison qu’ils croient ainsi défendre la noblesse du sport. Pour eux, ne pas chercher à gagner le match à tout prix revient à dévaluer le football. Or c’est une erreur grave : on enrichirait au contraire le football en lui ajoutant cette dimension stratégique. Ne nous contentons pas du jeu avec le ballon, voyons plus loin.

La Formule 1 a montré la voie avec des stratégies d’arrêt au stand élaborées avant le départ de la course, puis modifiées en fonction de son déroulement. Schumacher a gagné de nombreux Grands Prix non pas en dépassant ses adversaires sur le circuit, mais en gérant judicieusement le timing de ses changements de pneus. A l’opposé, Alonso a perdu le titre de Champion du Monde 2010 suite à une erreur stratégique dans les dernier Grand Prix, en rentrant au stand en même temps que Petrov qui le précédait et qu’il n’a jamais pu doubler par la suite.

Plus proche du foot, le basket donne de merveilleux exemples de décisions stratégiques à la fin des matchs les plus disputés. L’enchaînement des fautes volontaires et des lancers francs donne aux dernières minutes du match une dimension qui a renouvelé ce sport.

Pourquoi ne pas donner cette chance au football ? Pourquoi ne pas regarder les choses en face, et admettre que oui, parfois, il y a mieux à faire que de simplement gagner un match ?

La dernière Coupe du Monde nous en a donné un bel exemple, évidemment passé sous silence par les spécialistes officiels, qui dans un réflexe corporatiste prévisible ont voulu empêcher l’introduction de ce progrès dans le déroulement d’une compétition internationale. Seuls les chroniqueurs du Panthéon FC avaient relevé ce point, et analysé comme il le méritait le match Allemagne Ghana (dernière journée du groupe D). A la fin de ce match, compte tenu du score de l’autre rencontre du groupe, chacune des deux équipes avait intérêt à perdre afin de finir 2ème et de bénéficier d’un tableau plus clément. Que les dirigeants des deux équipes ne l’aient pas compris, ou qu’ils aient eu peur d’innover, le match s’est déroulé de manière tristement classique, alors qu’il aurait pu donner lieu à une confrontation d’un genre nouveau.(lire).

Que nous disent ces conservateurs d’un autre siècle pour expliquer leur refus de laisser entrer la stratégie dans le monde du football ?

Leur premier argument est recevable. Ils nous disent en effet qu’il faut rester concentré sur son match, le jouer pour le gagner, et que si l’on commence à calculer on peut en perdre le contrôle et compromettre la qualification. Nous pouvons l’entendre. Mais il y a une solution : jouer le match à fond, le gagner, puis à 2 minutes de la fin se marquer à soi-même le nombre de buts requis pour obtenir l’écart souhaité. C’est assez facile, puisqu’à chaque but marqué contre son camp on récupère le ballon à l’engagement. Il suffit alors de lancer directement la balle au gardien, qui n’a plus qu’à la déposer dans son propre but, suivant une gestuelle originale qu’il peut chorégraphier à sa guise.

Ces obscurantistes avancent un autre argument qui est celui-là proprement irrecevable : ils nous disent que tout calcul est inutile, puisque pour gagner la compétition il faut de toute façon battre tout le monde. Est-il vraiment nécessaire de souligner à quel point c’est une ânerie ? Sur les 7 autres équipes participant aux quarts de finale, il suffira d’en battre 3 pour remporter le titre. Et la chance, ou l’incertitude du sport, peuvent faire en sorte qu’une équipe qui nous aurait battus soit battue par une autre, que nous battrons. Illustrons cette phrase incompréhensible par l’un des miracles de la Coupe du Monde 1998 : celui de l’Allemagne. Nous ne pouvons pas oublier qu’en 1982 puis en 1986, l’Allemagne nous avait éliminés au stade des demi-finales. Or en 1998, après l’Italie en quarts de finale, le tableau nous destinait à rencontrer l’Allemagne, encore une fois au stade des demi-finales. Obstacle qui paraissait infranchissable (l’euphorie de la victoire nous l’a fait oublier, mais à l’époque l’équipe de France n’inspirait pas une grande confiance à ses supporters). Miracle, l’Allemagne est battue par la Croatie. Puis nous éliminons la Croatie grâce à deux buts de Thuram (autre miracle).

Aurions-nous battu les Allemands ? Nul ne le saura jamais, mais ce qui est certain c’est que nous n’avons pas eu à le faire pour gagner. De même que nous ne les avons pas battus en remportant l’Euro 2000. A chaque fois cet obstacle redoutable a été absent de notre parcours, et cela n’a donc aucun sens de dire qu’il faut battre tout le monde. Autre exemple moins prestigieux : le FC Metz a remporté la Coupe de France en 1988 en n’ayant rencontré (et battu) que des clubs de Division 2. Donc a priori plus faibles que des clubs de Division 1.

Donc non, il ne faut pas battre tout le monde, il faut battre les seuls adversaires auxquels on est opposé. Qu’on excuse cette lapalissade, mais comment répondre autrement à des propos aussi éloignés de la réalité ? Et une fois ce constat établi, on comprend qu’il est naturel de faire en sorte de ne pas rencontrer les adversaires le plus redoutables.

Comme bien des stratégies nouvelles, celle-ci apparaît donc absolument évidente une fois énoncée clairement. Et pourtant elle ne sera mentionnée nulle part dans la presse. Laurent Blanc n’avouera bien sûr jamais avoir délibérément recherché la défaite, et j’ai expliqué pourquoi la corporation dans son ensemble ne pouvait que rejeter cette innovation. Cela n’empêchera pas Panthéon-Foot de promouvoir cette stratégie de la défaite volontaire, que le Panthéon FC met parfois en oeuvre dans ses propres matchs, pour des raisons que nous laisserons dans le flou.