Il devrait faire appliquer la règle de la même façon à chaque match. Ce serait un premier pas vers une certaine forme d’équité. Un deuxième pas serait ensuite que cette règle soit juste. Mais c’est un autre débat, et il fera l’objet d’une autre publication, nous n’allons pas traiter tous les problèmes ici maintenant. Nous ne reviendrons donc pas sur les quelques points de règlement qui portent en eux des injustices flagrantes. Nous n’avons que trop parlé de Suarez, symbole de l’antijeu porté en triomphe par ses partenaires, agent de la déchéance du football considéré par certains comme un sauveur, personnalisation active de la décadence de notre société, qui aura reçu la même sanction pour son crime que le malheureux Thomas Müller, à qui on ne peut reprocher qu’une main involontaire et sans conséquences. Donc non, nous ne parlerons pas des règles elles-mêmes, qui sont ce qu’elles sont et qui ne pourront être modifiées que lorsque Benlosam aura été élu président de la Fifa, ce qui n’est pas pour demain.

Nous ne parlerons pas non plus de la manière dont l’arbitre prend connaissance des faits. Il voit certaines fautes, d’autres lui échappent, la vidéo ou des arbitres supplémentaires remédieront peut-être un jour à ce problème, cette question sera traitée une autre fois. Certains arbitres ne sont pas en mesure de constater qu’un ballon rebondit derrière la ligne de but, d’autres ne notent pas qu’un attaquant est hors-jeu alors qu’il est derrière le dernier défenseur et même derrière le gardien de but adverse, nous n’évoquerons pas ces malheureux ici. Leur cas sera traité avec plus de pertinence dans des publications médicales.

L’objet de nos réflexions ici sera uniquement la manière uniforme dont devraient être appliquées les règles, une fois que l’arbitre a identifié une faute. La moindre des choses serait en effet que, d’un match à l’autre, les mêmes causes aient les mêmes effets. Or il est clair que ce n’est pas le cas.

Ce que je demande là , l’application uniforme de la loi, semble être un préalable indispensable à toute activité un peu réglementée. Il faut pourtant savoir que ce n’est pas l’avis de tout le monde. Certains peuvent en effet invoquer cet adage romain, attribué à Cicéron : « Summum jus, summa injuria », qui veut exprimer qu’une règle appliquée de manière trop stricte peut mener à l’injustice, et qu’au-delà de la lettre de la loi il faut en considérer l’esprit. A les en croire, il faudrait donner à l’arbitre une latitude dans l’appréciation de la sanction juste. A ceux-là je réponds d’une part que « Dura lex sed lex », que la loi, même sévère, est la loi, d’autre part que Cicéron n’y connaissait rien en foot. Eût-il connu ce sport, et les dégâts causés par des interprétations variables de la loi, qu’il aurait amendé son point de vue.

Si je ne devais citer qu’un exemple de ces interprétations variables, je prendrais la règle du carton rouge pour une faute commise par le dernier défenseur. Cette règle spécifique voulait viser celui qui annule délibérément un but « tout fait » mais telle qu’elle est écrite elle s’applique aussi aux fautes qui relèvent plus de la maladresse. Elle vaut donc au goal qui rate son intervention et fauche involontairement l’attaquant, en plus de l’indiscutable pénalty, un carton rouge automatique. Devant l’excessive sévérité de cette règle, certains arbitres décident parfois de ne pas l’appliquer, et de n’infliger qu’un carton jaune. Ce comportement très cicéronien paraît honorable, mais il a le défaut de n’être pas suivi par l’ensemble des arbitres, de créer des inégalités de traitement, et donc des injustices. Telle équipe ayant reçu cette double peine au cours d’un match n’appréciera pas que sur un autre match son adversaire soit traité différemment. Il est probable qu’en considérant cette situation douloureuse Cicéron aurait revu son jugement et aurait adhéré à l’application stricte de la loi, dans la plénitude de sa stupidité si elle est stupide, mais sans variation d’un arbitre à l’autre.

Cela dit, une autre voie est possible. Je dis qu’il est essentiel que les arbitres soient constants, et je propose donc qu’ils appliquent les règles de manière uniforme. Mais à la réflexion, une autre solution pour atteindre cette constance serait que, de manière tout aussi uniforme, ils ne l’appliquent pas. Devant une réelle collégialité dans la non-application notre objectif d’homogénéisation serait atteint. Le problème pourrait alors venir de celui qui déciderait, contre toute attente, de commencer à appliquer une règle dont il était admis qu’elle n’avait pas cours.

Ce que je dis peut sembler absurde, c’est pourtant la réalité s’agissant des tirages de maillots dans la surface lors des corners. Une règle interdit évidemment cette pratique mais les arbitres ne l’appliquent pas. C’est peut-être regrettable mais c’est ainsi, sur les matchs un peu disputés chaque corner est l’occasion de dizaines de fautes qui mériteraient d’être sanctionnées par un pénalty, et qui ne le sont pas. C’est ainsi que la triste équipe de l’Inter a éliminé Chelsea, en neutralisant Drogba d’une manière qui n’est même pas autorisée au rugby (puisqu’il était plaqué sans ballon). On comprend qu’il soit difficile pour un arbitre d’aller contre cette coutume : le premier qui sifflera une telle faute subira les réactions violentes, et sincèrement étonnées, des joueurs sanctionnés. Et, loin de recevoir l’approbation des commentateurs, il rencontrera leur incrédulité, sur le thème « Si on siffle ça il y a 10 pénaltys par match ».

Donc c’est impunément qu’on tire les maillots dans la surface. C’est bien dommage mais au moins c’est pareil pour tout le monde. Le problème est apparu dans le Championnat de France lorsque les arbitres reçurent la consigne de sanctionner cette pratique. Bonne idée. Certains l’ont fait, et le PSG a ainsi été légitimement sanctionné de deux pénaltys, qui ont contribué à lui faire perdre deux matchs de suite. Sur les quelques matchs qui ont suivi, ses défenseurs ont adapté leur comportement sur les corners, ce qui a aussi contribué à de mauvais résultats de manière assez durable. Puis plus rien. Aucune sanction du même type sur d’autres matchs. Les mêmes tirages de maillots ont continué sur tous les terrains, et aucun pénalty n’a été sifflé. Le PSG a donc été victime de deux arbitres zélés, qui ont droit à notre reconnaissance, mais qui n’ont malheureusement pas été suivis, et ont donc été les instruments actifs d’une véritable injustice.

L’inconstance des arbitres n’a pas pour seule conséquence des inégalités de traitement entre les matchs, elle a aussi comme effet secondaire d’induire des comportements déviants chez les joueurs. Ainsi, lorsqu’un joueur est victime d’une faute, on voit presque systématiquement ses coéquipiers réclamer à l’arbitre un carton jaune, ou rouge, pour celui qui l’a commise. S’ils avaient la certitude que l’arbitre se contentera de suivre aveuglément un barème sans jamais y déroger, ils abandonneraient vite cette manie. Mais ils savent au contraire que tout est possible, ils tentent donc d’obtenir cette sanction, le plus regrettable étant qu’ils y arrivent assez souvent. Je risque une comparaison avec le rugby : on n’y voit quasiment jamais de joueur réclamer une sanction pour un adversaire. La raison vient sans doute de ce que les arbitres de rugby sont réputés ne jamais revenir sur leurs décisions.

Ces gesticulations pour influencer l’arbitre sont une véritable plaie pour le football. Alors qu’il aurait besoin de la plus grande sérénité pour prendre rapidement des décisions difficiles, l’arbitre est l’objet d’un harcèlement permanent, chacun de ses coups de sifflet est contesté, les joueurs cherchant toujours à obtenir de lui une décision plus favorable. Cette pression permanente qu’il subit est clairement une gêne pour lui, et l’éliminer lui permettrait sans doute d’arbitrer avec plus de clairvoyance. Pour que cela cesse, il devrait agir comme une machine, n’être doté d’aucun pouvoir d'interprétation, se contenter d’appliquer de manière automatique un corpus réglementaire intangible. Les joueurs finiraient par comprendre qu’ils perdent leur temps à essayer de fléchir les décisions de cet automate, et tout le monde y gagnerait.

A la lumière de ces quelques réflexions de bon sens, une solution semble s’imposer : il devient à peu près évident que le remplacement des arbitres par des robots doit être envisagé. On réglerait d’un même coup la question de l’uniformité et celle de l’invariabilité. Ce sont les mêmes décisions qui seraient prises sur tous les terrains, et il serait impossible de les remettre en cause. Ces scènes de contestations si pénibles disparaitraient. A ces indiscutables avantages on pourrait facilement ajouter, avec des outils de traitement d’image assez basiques, la possibilité de situer facilement le ballon par rapport au but, ou de juger d’une position hors-jeu sans hésitation. Alors que pour les tenants de l'arbitrage vidéo la solution se trouve dans une régie où un arbitre supplémentaire jonglerait avec les prises de vue d'une dizaine de caméras sous la pression de l'urgence, notre robot disposerait de manière instantanée des conclusions d'un système de mesure incontestable. Les révélateurs utilisés par les chaînes de télé ne serviraient plus qu'à nous faire comprendre comment nous avons pu être abusés par l'image à vitesse réelle, la décision arbitrale devenant la référence à force d'être toujours la bonne.

La vidéo paraîtrait alors un outil bien désuet, limite artisanal, et on comprendrait enfin pourquoi Platini s’y opposait : pour proposer d’un seul coup un bon technologique bien supérieur. Une fois de plus il aurait pris tout le monde à contre-pied. Il est vraiment trop fort.