Dans un billet récent, André Gluksmann citait le fameux article du Professeur Lévy «Tirer les pénaltys en premier, ontologie d’une injustice », dans lequel on démontre à quel point il est outrageusement avantageux de tirer en premier. Le corollaire de ce constat étant qu’en définitive le sort du match se joue lorsqu’on décide, à pile ou face, de l’ordre des tireurs. Si le célèbre professeur et son équipe se sont lancés dans cette vaste étude, c’était pour mettre à l’épreuve des faits ce qui n’était alors que la Conjecture de Fitoussi, et qui postulait cet avantage en faveur de l’équipe première à tirer.

Nous ne reprendrons pas ici plus en détail le contenu ni les conclusions de cette étude, l’essentiel a été dit avec ce constat simple et radical : s’agissant des 10 derniers matchs de Coupe du Monde qui se sont joués aux tirs au but (dans lesquels nous incluons la finale de la Coupe d’Afrique des Nations 2006), pour 9 d’entre eux l’équipe qui tirait en premier a gagné, l’équipe qui tirait en second ne l’ayant donc emporté qu’une seule fois. Dit autrement, l’équipe qui tire en premier a 9 fois plus de chances de l’emporter que celle qui tire en second. Ce qui est au-delà de l’énorme. Avec ce match supplémentaire ajouté aux observations, les équipes du Professeur Lévy vont évidemment devoir reconsidérer tous leurs calculs, les résultats actualisés devraient être publiés dans quelques semaines.

Panthéonfc.fr a pris le risque de faire état de cette étude dans ses colonnes, alors même que, à notre connaissance, aucun média, sportif ou non, ne s’en est fait l’écho. Nous avons ainsi pris le risque d’être démentis, ou au moins contrariés, par les faits, et par un match dont l’issue serait au contraire favorable à l’équipe tirant en second. Comme parfois en football, cette prise de risque a été récompensée, puisque le match Paraguay – Japon vient confirmer la théorie à laquelle nous adhérons. Et pourtant, les japonais auraient été les candidats idéaux pour venir faire exception à cette règle. On connaît en effet la force mentale de ce peuple, et la manière dont ses représentants savent faire passer le sens du devoir, ou le respect des traditions, devant les sentiments. La maîtrise des émotions dont ils sont capables aurait pu leur permettre de surmonter le handicap du tireur en second. Mais la puissance de l’Axiome de Fitoussi aura eu raison des fils des Samouraïs, et en donnant la victoire aux hommes de la pampa il démontre son universalité.

Ce point de l’ordre des équipes pour l’épreuve des tirs au but n’est qu’un des éléments étudiés, dans les colonnes de la Harvard Review of Scientific Football, par des sommités du monde du sport et de la science. L’objet de leurs recherches est de maîtriser l’aléa, non pas au sens de le faire disparaître, mais de le connaître, de le cerner, et de faire le tri entre ce qui est effectivement aléatoire (incontrôlable et non prévisible) et ce qui ne l’est pas. Sur cet exemple, essentiel puisqu’il a déjà décidé à deux reprises du vainqueur d’une finale de Coupe du Monde, nous savons donc maintenant que l’aléa n’est pas réellement dans les tirs au but eux-mêmes, mais dans le jeter de la pièce qui décide de l’ordre des équipes.

Ce problème de l’aléatoire rejoint les considérations évoquées par Benlosam dans son dernier billet, ainsi que dans d’autres billets publiés à l’occasion de l’Euro 2008, sur la question suivante : ce qui est arrivé devait-il arriver ? Et son corollaire : tel incident de jeu a-t-il modifié le résultat ? La tendance générale des commentateurs est de nier l’importance de l’aléatoire, et donc de répondre que l’incident de jeu, par exemple l’erreur d’arbitrage, n’a pas modifié le résultat final, qui était donc inéluctable. Ce comportement contraire à toute logique est essentiellement dicté par un réflexe corporatiste, ou simplement par l’instinct de survie : si le journaliste sportif ou l’expert qui l’assiste, nous disent que le résultat d’un match est principalement lié au hasard ou aux décisions de l’arbitre, ils scient la branche sur laquelle ils sont confortablement assis.

Nous reviendrons sur ces sujets dans d’autres billets (après publication du prochain numéro de la Harvard Review of Scientific Football, consacré aux observations effectuées lors de cette Coupe du Monde).