Je ne plaisante pas. Ce joueur a bien fait cette déclaration. Et surtout elle a été diffusée par une radio nationale. Ce joueur, que par charité je ne nommerai pas, disait très précisément ceci : "Le match contre le Mexique est très important pour nous. Une victoire nous ferait beaucoup de bien au niveau de la confiance. Et aussi pour ce qui est des points ce serait très positif. Si on perd, on aura beaucoup de mal à se qualifier. Ca deviendra très compliqué pour la suite".

Mon propos n'est pas de réagir ici par rapport au déroulement et au résultat de ce match mais de relever que cette déclaration sans aucun intérêt a été diffusée à une heure de grande écoute. Nous n'étions pas en direct. Et ces propos ont été diffusés non pas dans un quelconque bêtisier, mais dans le "journal des sports". Et de fait, malgré les apparences, il y a bien là une information. L'information ce n'est pas qu'il soit préférable de gagner contre le Mexique. L'information ce n'est même pas que ce joueur ne trouve rien de plus élaboré à dire que ces bêtises. L'information c'est que cette radio nous ait passé ça plutôt que rien. Elle a considéré que ces phrases vides de sens avaient leur place à son antenne.

Ca ne vous rappelle rien quelqu'un qui est filmé alors qu'il n'a rien à dire ? Qui est regardé par un public nombreux ? Et dont personne ne songerait à relever à quel point le discours est sans intérêt, car ce n'est pas la question ?

C'est le Loft.

Notre Equipe de France est devenue, devant les caméras et les micros de nos médias, l'équivalent du Loft. Des gens que l'on fait parler, mais dont les propos sont très généralement sans aucun intérêt car vides de toute opinion personnelle un peu tranchée (mis à part la conviction qu'il vaut mieux gagner les matchs que de les perdre). Et dont on attend avec une certaine gourmandise inavouée les dérapages ou les maladresses.

Si nos télévisions ou nos radios diffusent ces propos parfaitement creux, c'est qu'ils savent que le public l'accepte. Nous acceptons d'entendre du vide. Ce comportement est le fruit d'une lente éducation, d'un travail d'acclimatation mené depuis de longues années par nos médias : nous avons été habitués à recevoir avec satisfaction dans le cadre d'émissions d'information des discours exempts de tout contenu informatif. Cela va du micro-trottoir, qui ne nous donne rien d'autre à entendre que la réaction d'un quidam aussi quelconque que possible, aux "répondeurs" des radios, sur lesquels chacun est invité à donner ses réactions face à l'actualité (ce qui représente un net progrès par rapport au micro-trottoir puisqu'on peut ainsi disposer d'une bonne dose de vide sans avoir à déplacer le moindre journaliste).

Les déclarations de nos footballeurs sont aujourd'hui du même acabit, avec des réactions d'une totale platitude face aux événements passés, et des considérations sans aucune portée s'agissant des matchs à venir. Mais leurs interventions partagent avec le Loft une dimension que n'ont pas les micro-trottoir ordinaires : la communion. Ce qui est important ce n'est pas ce que nous regardons, mais le fait que nous le regardons ensemble. Ca tient chaud, c'est rassurant. Et surtout nous pourrons participer à la conversation demain à la machine à café. Tel est maintenant le triste statut de cette Equipe de France sans inspiration et sans beauté : non plus un objet de passion, mais un simple sujet de conversation. Parmi ceux qui la regardent, combien le font parce qu'ils s'en sentent solidaires et souhaitent sa victoire, combien se contentent de suivre l'actualité, et ne la regardent que par curiosité, pour savoir ce qui s'est passé ?

Mais pour que le Loft soit un succès, il faut aussi qu'il se passe parfois quelque chose. On a dit plus haut avec quel appétit on pouvait guetter dans les propos des lofteurs (je veux dire de nos internationaux) la bêtise qui permettrait de se gausser à peu de frais avec ses collègues. Mais il n'y a pas que ça dans le Loft, ce qui a fait son succès c'est aussi Loana. Eh bien malgré la difficulté, sur ce plan là aussi la prod a réussi à égaler le Loft, grâce à Zahia. Nous n'avons pas eu droit aux fameuses images de la piscine, mais nous avons trois partenaires pour le prix d'un. Et pour ce qui est du casting, la FFF est allée plus loin. Elle a dépassé le Loft en inventant un nouveau personnage : le méchant patenté avec de gros sourcils.

Le rôle de ce personnage est un peu outré, puisqu'en plus d'être systématiquement désagréable et méprisant, il dispose des pleins pouvoirs sur les autres occupants du Loft. En effet, au mépris des règles habituellement en vigueur pour la télé-réalité, il peut faire entrer ou sortir qui il veut, sans même avoir besoin de s'expliquer auprès de Benjamin Castaldi. C'est incontestablement une réussite, et ce personnage est la clé du succès de ce Loft de la Fédération Française de Football (LoFFFt). Les journalistes continuent à s'offusquer de son obstination à se foutre ouvertement de leur gueule, mais ils persistent à diffuser ces moments cultes. Ce n'est pas par masochisme, mais parce qu'ils savent bien que ces moments feront le succès du LoFFFt, et donc le leur, en assurant un bon niveau d'audience à leurs émissions. On sait que Domenech fait du théâtre, il ne faut donc pas s'étonner que cette mécanique soit digne des meilleurs spectacles. C'est du bon travail et il est probable qu'en comparaison de ce grand professionnel, Laurent Blanc paraîtra bien pâle.

En théorie, l'évolution naturelle d'une émission de télé-réalité est le dérapage vers des querelles entre les personnages, querelles qui peuvent s'envenimer jusqu'aux insultes. Insultes qui seraient rapidement rendues publiques, puisque bien entendu le LoFFFt ne respecte pas le secret du vestiaire, le principe étant que ce qui est dit doive être connu de tous. Mais nous savons bien que les qualités morales de nos joueurs nous mettent à l'abri d'une telle dérive. Et nous pouvons être certains que de toute façon la presse sportive ne se ferait pas l'écho du moindre débordement de vulgarité. La classe et le standing cumulés de nos internationaux et de nos journalistes nous épargneront donc les gros mots à la une des journaux, et nous leur en sommes reconnaissants.