Cher Marco,

Vous êtes hollandais et vous êtes mon ami. Vous n’êtes pas comme les autres hollandais. Eduqué en Suisse, vous parlez couramment français, ce qui a toujours favorisé nos discussions. Mais comme les autres hollandais, vous êtes passionné de football. Votre cœur est orange autant que le mien est bleu.

Parce que les vrais amis se parlent franchement, j’ai décidé de vous écrire, ce que beaucoup de français pensent mais n’osent pas écrire ou dire publiquement, de peur d’être traités d’anti-hollandais. J’espère que vous comprendrez qu’il n’y a rien de personnel, et que vous me répondrez sur le fonds.

Hollande, nous vous avons tant aimé.

Nous avons aimé la Hollande de Cruyff en 1974. Nous l’avons soutenue en finale contre les infâmes allemands, et avons pleuré avec les supporters oranges lorsque l’ignoble Beckenbauer a soulevé la coupe du monde. Nous avons aimé l’équipe de 1978, sans Cruyff, mais avec Resenbrik, Neeskens, notre chouchou Johnny Rep, et les buts de Hann de 45 mètres au moins. Lorsqu’ils ont refusé de sortir des vestiaires à l’heure avant la finale de 1978, pour protester contre la dictature argentine et ne pas serrer la main du dictateur argentin, nous les avons soutenus. Et lorsqu’ils ont perdu, nous avons encore pleuré.

Nous avons aimé le football total de l’Ajax d’Amsterdam du début des années 70, à peu près autant que nous avons détesté le football destructeur du Bayern Munich du milieu des années 70.

Les frères René et Willy Van de Kerkhof nous faisaient penser à Hervé et Patrick Révelli, nos idoles chevelues et chauves de l’épopée des verts.

Et si nous avons adoré les exploits de Bastia, qui a atteint la finale de la coupe de l’UEFA en 1978, c’est en grande partie parce que nous étions fans de Johnny Rep, qui jouait miraculeusement au FC Bastia cette année-là .

Notre fierté était immense lorsque le génial Platini élimina la grande Hollande de la coupe du monde 1982, d’un coup franc magique au parc des princes, en novembre 1981. Mais en même temps, nous étions tristes pour nos amis et tristes pour le football, car une coupe du monde sans la Hollande, c’est une demi coupe du monde. Les italiens ne sont qu’à moitié champions du monde 1982.

Nous avons aimé Gullit, Rijkaard et Van Basten, et nous avons applaudi à leur victoire lors de l’Euro 1988, seul titre majeur orange. D’autant plus que la France ne participait pas.

Lorsque Rijkaard a crachĂ© sur Rudi Völler lors de la coupe du monde 1990 en Italie, nous avons approuvĂ©, parce que Völler avait une moustache, les cheveux longs derrière et court sur les cĂ´tĂ©s, et parce que nous partagions avec la Hollande cet ennemi hĂ©rĂ©ditaire : l’Allemagne.

Nous avons compati lorsque les hollandais se sont montrés incapables de réussir le moindre pénalty, en se faisant éliminer aux tirs aux buts lors des Euros 92, 96, 2000 et en 1998, lors de la coupe du monde en France. En 1996, nous étions bien contents qu’ils nous laissent gagner aux pénaltys. En 2000, nous les avons plaints lorsqu’ils ont raté deux pénaltys dans le jeu avant de perdre aux tirs aux buts contre l’Italie en demi-finale. Et nous avons été champions d’Europe. En 1998, nous les avons de nouveau évités de justesse en finale car ils ont encore perdu aux tirs aux buts en demi-finale, cette fois contre le Brésil. Et grâce à cela nous sommes devenus champions du monde.

Et même lorsqu’ils nous battaient, ils avaient l’amabilité de choisir un match sans enjeu, comme ce 3-2 contre notre équipe B, au troisième match de poule de l’Euro 2000, alors que nous étions déjà qualifiés.

Pour nous, les hollandais étaient de magnifiques perdants, aimant le beau jeu, ils nous rappelaient les français de 1982, nous nous identifions à eux.

Mais tout a changé. Les hollandais sont devenus méprisants, brutaux.

Le 13 juin 2008, ils nous ont battu 4-1 au deuxième match de l’Euro, en nous humiliant, alors qu’un score de 2-1 ou de 1-0 leur suffisait.

Les hollandais font aujourd’hui aux autres ce qu’eux-mêmes ont subi dans le passé.

Circonstance aggravante : ils ont mis fin Ă la carrière de l’immense Lilian Thuram. Le monument Thuram, avec son record de 142 sĂ©lections, qui nous a fait gagner pratiquement Ă lui tout seul deux demi-finales de coupe de monde en 1998 contre la Croatie et en 2006 contre le Portugal. Victime de ce 4-1, Lilian n’était pas titularisĂ© lors du dernier match contre l’Italie, et terminait ainsi sa carrière internationale sur ce crève-cĹ“ur. Pire, il terminait sa carrière tout court sur ce match : quelques semaines plus tard, on lui dĂ©couvrait un problème cardiaque et il devait renoncer Ă un contrat avec le PSG. Il est tout Ă fait possible, d’ailleurs, que ce problème cardiaque ait Ă©tĂ© causĂ© par la peine infligĂ©e par les hollandais.

Les supporters oranges nous ont ensuite chambrés de manière excessive pendant des mois. Odieux.

Et nous avons découvert que si nous les aimions, eux ne nous avaient en fait jamais aimés, comme ne nous aiment pas les italiens, les anglais, et depuis la main de Henry, les irlandais (liste non exhaustive évidemment, mais la place manquerait tant nous sommes haïs). Par exemple, il n’y a aucune rue Zidane ou Platini à Amsterdam. L’amour que nous leur avons porté était donc un jeu de dupes.

Pire : cher Marco, je peux vous l’avouer maintenant, depuis 10 ans je rumine une conversation que nous avions eue. Je vous disais cette Ă©vidence « Cruyff Ă©tait un grand joueur, mais rien Ă voir avec Platini qui reste le plus grand joueur europĂ©en de tous les temps », et vous vous ĂŞtes permis de rire ! Oui, de rire !

Platini est pourtant beaucoup plus grand que Cruyff.

Cruyff a joué la finale de la coupe du monde, a gagné la coupe des champions, et a reçu 3 ballons d’or (comme Michel Platini). Mais Platini, qui a joué deux demi-finales de coupe du monde, a gagné l’Euro, et a gagné la coupe des champions, a de plus révolutionné le jeu par sa vision, ses ouvertures, son efficacité et sa classe.

Platini a terminé trois fois meilleur buteur du championnat d’Italie, en jouant numéro 10, performance pourtant impossible mathématiquement. Il était aussi le meilleur passeur. Son sens de la passe et son jeu tête levée sont encore étudiés, dans les écoles de football sur tous les continents, et dans les livres d’histoire. Il a révolutionné la façon de tirer les coups francs. Il a gagné l’Euro 1984 en marquant 9 buts alors que l’Euro ne se jouait qu’en 5 matchs à l’époque (contre 6 aujourd’hui), record inégalable.

Bref, vous êtes vraiment tombé bien bas en imaginant que Cruyff, que nous respectons, mais qui n’arrive pas à la cheville de Platini, est un joueur plus important que Platini. Le chauvinisme aveugle décidemment beaucoup, et c’est bien triste, heureusement qu’un peuple, les français, garde une objectivité exemplaire.

Votre Ă©quipe hollandaise de 2010 est antipathique. Elle vient de battre le Danemark 2 Ă 0 avec un premier but très chanceux, une tĂŞte d’un dĂ©fenseur danois qui rebondit sur un dos danois avant d’entrer : un but Ă l’allemande. Snejder est prĂ©tentieux, arrogant. Il se prend pour un grand joueur parce qu’il a rĂ©ussi deux passes en league des champions. Robben n’a pas l’air très malin, contrairement aux joueurs français qui sont bons en mathĂ©matiques. Van Bommel est violent et truqueur. Et il joue au Bayern.

Alors, oui, aujourd’hui, nous le disons, notre histoire avec les hollandais est terminée, nous divorçons, et nous ne garderons pas de bonnes relations.

Aujourd’hui, 18 juin, pour la première fois, « nous souhaitons la victoire de l’Allemagne ».

Votre dévoué,

Benlosam

RĂ©ponse du Vicomte Marco du Baston :

Cher Benlosam,

Je dĂ©sire beaucoup, cher Benlosam, que cette lettre ne vous fasse aucune peine ; ou, si elle doit vous en causer, qu’au moins elle puisse ĂŞtre adoucie par celle que j’éprouve en vous l’écrivant. Vous devez me connaĂ®tre assez, Ă prĂ©sent, pour ĂŞtre bien sĂ»r que ma volontĂ© n’est pas de vous affliger ; mais vous, sans doute, vous ne voudriez pas non plus me plonger dans un dĂ©sespoir Ă©ternel.

Je vous conjure donc, au nom de notre amitiĂ© ; ne nous parlons plus de football. Partez, et jusque-lĂ , fuyons surtout ces entretiens particuliers et trop dangereux oĂą, par une inconcevable puissance, sans jamais parvenir Ă vous dire ce que je pense, je passe mon temps Ă Ă©couter ce que je ne veux pas entendre.

Hier encore, vous avez tenté de me convaincre des qualités de l’équipe de France de 1982, que vous comparez à tort à l’équipe des Pays-Bas de 1974, celle-là même qui a donné naissance au football moderne. Permettez-moi de vous dire que j’ai peine à me contenir, tant je pense que votre chauvinisme influence votre jugement et que malgré la profondeur de vos connaissances en la matière, vous persistez à ne vouloir que voir la vie en bleu.

Aussi, je n’ai jamais eu l’intention de vous blesser lorsque, alors que nous nous connaissions Ă peine, vous m’avez soutenu que Michel Platini fut un plus grand joueur que Hendrik Johannes Cruijff… Pour ĂŞtre franc, je croyais qu’il s’agissait une plaisanterie, ce qui peut expliquer ma rĂ©action. En effet, de premier abord, vous semblez avoir une tĂŞte bien faite et bien pleine, je ne pouvais donc pas concevoir que vous puissiez ĂŞtre victime d’une telle « erreur d’apprĂ©ciation ». Cruijff est le plus grand joueur europĂ©en de tous les temps et je vous engage Ă lire la multitude de documents traitant de cette question disponibles sur internet.

Mais force est de constater que nos vues ne sont probablement pas compatibles sur ce sujet. Et je respecte votre opinion. Je sens trop par moi-même combien il est difficile de résister à un sentiment impérieux. Ne suis-je pas convaincu, tous les deux ans, que la Hollande va remporter la compétition?

Quant au 4-1 que la Hollande a infligé à la France en 2008, il était nécessaire. Comme en 1996, lorsque les Bleus ont sorti les oranges du tournoi, ils signalisèrent au monde qu’ils étaient presque prêts et que la prochaine coupe était pour eux... Il y a deux ans, Sneijder, Kuyt, van der Vaart, Robben et van Persie se devaient de s’affirmer. En battant l’adversaire qu’elle redoute et respecte le plus, la Hollande annonce son intention de gagner la prochaine coupe du monde!

Pour Lilian Thuram, les hollandais regrettent qu’il ait arrĂŞtĂ© sa carrière sur ce 4-1, mais ne l’ont pas souhaitĂ©. Nous avons quant Ă nous pardonnĂ© le traitement que Basile Boli et les autres dĂ©fenseurs de l’OM ont infligĂ© Ă la cheville de Marco Van Basten, un soir de finale de coupe des champions 1993… Ce fut le dernier match de San Marco !

Je dĂ©plore que vous ayez Ă©tĂ© « chambrĂ© » par une minoritĂ© de pseudo supporters hollandais lobotomisĂ©s. Sachez que jamais je n’ai eu de pensĂ©e nĂ©gative au sujet de la France. Je me permets de vous rappeler que nous Ă©tions ensemble au Stade de France pour applaudir les bleus en cette belle soirĂ©e du 12 juillet 1998 alors que mon cĹ“ur saignait encore de la dĂ©faite aux tirs aux buts contre le BrĂ©sil quelques jours auparavant.

Oui, je vous le dis, nous aimons la France et son football. Nous le respectons, nous le craignons mĂŞme parfois, moins en ce moment, il est vrai, et en aucun cas nous ne vous rendons pas votre amour.

Ne dit-on pas que la Terre est bleue comme une orange?



Votre intention de supporter l’Allemagne me chagrine. Ne vaut-il pas mieux faire cesser cet Ă©tat de trouble et d’anxiĂ©tĂ© ? O vous, dont l’âme toujours sensible, mĂŞme au milieu de ses erreurs, est restĂ©e amie du football de qualitĂ©, vous ne rejetterez pas ma prière et vous vous remettrez Ă supporter la Hollande une fois que la France sera sortie de ce tournoi!

Croyez-moi, lorsque vous verrez Giovanni van Bronkhorst brandir ce trophĂ©e tant convoitĂ©, un intĂ©rĂŞt plus doux, et non moins tendre, succĂ©dera Ă ces agitations violentes ; alors, ce calme que pour ma part je ressens dĂ©jĂ , vous appartiendra aussi et vous vous direz ; je le dois Ă mon ami.

Au revoir, cher Benlosam. J’espère que ce n’est pas un Adieu dĂ©finitif, que vous allez revenir Ă la raison et coiffer Ă nouveau ce casque orange qui permet Ă la fois de boire deux cannettes de bière et de chanter « schade deutschland, alles ist vorbei, alles ist vorbei... »

Votre dévoué,

Vicomte Marco du Baston

Cher Marco,

Vous m’avez convaincu, je supporte de nouveau la Hollande. Vos arguments ne m’ont pas convaincu, mais cette vidéo que vous m’avez envoyé a suffi.

http://www.youtube.com/watch?v=U7Ih7hPTn4w

Votre dévoué ,

Benlosam