Fabregas fait deux passes décisives, sur le 2ème et sur le 3ème but. Sa passe sur le deuxième but est sublime, totalement Platinienne. Placé sur la ligne des "18m", il reçoit un centre, et d'un simple geste du pied (je veux dire que seul le pied bouge, la jambe est à peu près immobile), il expédie le ballon par-dessus la défense sur son attaquant isolé. Le terme de Platinien s'impose par le côté à la fois sublime et dépouillé du geste. Créer du mouvement (et quel mouvement) sans bouger, voilà selon moi ce qui distingue Platini des autres.

Naturellement il était aussi capable de faire autre chose, et pour ne citer que cela, ses 9 buts à l'Euro 1984 sont une illustration de son jeu en mouvement. Mais ces buts auraient pu être l'oeuvre d'autres joueurs de dimension planétaire. Il me semble que c'est moins le cas de ses gestes immobiles, et d'apparence si faciles qu'ils échappent presque au spectateur. Ils lui sont plus spécifiques, on pourrait presque parler de "marque de fabrique".

Disons pour aller plus loin que le Platini buteur est en mouvement comme les autres buteurs, mais que le Platini passeur a plus une allure de dilettante que les autres passeurs. Une simple comparaison avec Zidane permet de l'illustrer. Les passes sublimes que distribuait Zidane ne semblaient pas faciles, tout au contraire. Il s'agissait de gestes complexes, de contrôles impeccables, de talonnades, où la maîtrise technique était visible, et même évidente. La passe géniale de Platini n'a l'air de rien, on peut se dire qu'on aurait pu la faire soi-même. Elle n'est géniale que dans son résultat, pas vraiment dans sa réalisation.

C'est pourquoi je disais qu'elle pouvait échapper au spectateur. Nous noterons d'ailleurs que la passe Platinienne de Fabregas sur le deuxième but n'a même pas été commentée par Thierry Roland et Franck Leboeuf. Ils ont peut-être mentionné le nom de Fabregas sur l'action, mais comme ils auraient cité le poteau si le ballon l'avait heurté. Nous n'avons certes pas affaire à des monstres de clairvoyance, mais ils sont tout de même familiers des choses du football. Il est donc remarquable qu'ils n'aient pas souligné la qualité de cette passe de Fabregas et la part qui lui revient dans ce but.

Telle est donc la passe Platinienne, apparemment anodine mais décisive. Benlosam ne dit pas autre chose lorsqu'il qualifie la passe de Pirès, oeuvrant dans le même registre, de "Simple mais géniale".

La deuxième passe décisive de Fabregas, elle, n'est pas Platinienne. Elle est décisive également, efficace et millimétrée, mais elle sort du champ du Platinien pour la raison qu'elle est donnée en mouvement. Fabregas reçoit un très bon ballon d'Iniesta au milieu du terrain, déborde jusqu'au niveau de la surface adverse et adresse son centre parfait. Là aussi beaucoup de talent, mais si on veut garder leur sens aux mots, il n'est pas possible de parler ici de geste Platinien, puisqu'il s'agit d'une action qui a nécessité une course de plus de 30 mètres.

Le talent de Fabregas est donc évident, mais il n'est une réincarnation de Platini que par moments.